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«La traque»: le téléfilm polémique sur Michel Fourniret

Atteint-on la limite de la liberté d’expression artistique avec cette coproduction TF1-RTBF qui soulève l’indignation des familles des victimes ? Décryptage.

PourCiné-Télé-Revue

Dès l’annonce du projet, leurs voix se sont élevées. Dans un message transmis à l’AFP et adressé à TF1, Marie-Boëlle Bouzet, la maman d’Elisabeth Brichet, enlevée à Saint-Servais, en 1989, et dont le corps a été retrouvé en 2004 au château de Sautou, s’est indignée : « L’utilisation commerciale de la souffrance de mon enfant disparu me dévaste. Cela relève du voyeurisme et de la recherche d’audimat. » Même son de cloche de la part du papa de la petite Estelle Mouzin, 9 ans à jamais et dont Michel Fourniret a fini par avouer en mars 2020 sa responsabilité dans la disparition. Lui dénonce « la dérive de notre société du spectacle ».

Tout aussi hors de ses gonds, le fils du couple diabolique, Sélim Fourniret, a publié un communiqué le 12 août et lancé une pétition pour interdire le projet, en s’adressant au réalisateur : « Monsieur Rénier, comment osez-vous ériger Michel au rang de héros d’un film ? Avez-vous songé un seul instant à l’angoisse et à la misère dans lesquelles vous allez plonger les familles des victimes ? Rien qu’à l’idée de savoir que TF1, la première chaîne d’Europe, soit capable de hisser deux violeurs d’enfants au rang d’icônes, j’en ai la nausée. »

À cela, et alors qu’il est représenté, certes sous un autre nom, dès le début du téléfilm, Sélim n’a reçu qu’« une lettre très condescendante dans laquelle ils invoquent le droit à la liberté d’expression », nous apprend Oli Porro Santoro, son ami et journaliste d’investigation avec qui il a publié « Le fils de l’ogre », en 2016. « Ils ne lui ont même pas proposé un droit de regard ni de le voir en avant-première. Ce qu’ils voulaient, c’était prendre contact par avocats interposés sans doute pour acheter son silence avec de l’argent en tant que consultant technique. Pour lui, c’était hors de question par respect des victimes. » Yves Rénier vient de lui répondre sur le plateau de Jean-Marc Morandini d’un « Va te faire voir ! »

Centré sur le travail des enquêteurs

Silence radio, aucune interview ne sera accordée, malgré les nombreuses demandes, telle est la ligne de conduite avant la diffusion. Le seul à s’exprimer est le producteur, Franck Calderon : « Nous avons répondu aux familles des victimes qui nous ont contactés qu’évidemment nous ferions en sorte de ne pas les heurter. Voilà pourquoi il n’y a aucune mise en scène de souffrance. La fiction se concentre sur le travail des enquêteurs. L’axe choisit un traitement sobre et factuel de cette histoire, à travers une traque psychologique qui héroïse les policiers. »

La temporalité explorée démarre le 26 juin 2003, lorsque Michel Fourniret est arrêté pour tentative d’enlèvement sur mineure à Ciney et placé en détention provisoire. Dès lors, la police engage une course contre la montre pour obtenir les aveux de sa femme, Monique Olivier. 120 interrogatoires plus tard, en juin 2004. L’ombre de Michèle Martin, condamnée pour complicité dans l’affaire Dutroux, aura fait basculer Monique Olivier, alors que la justice, faute de preuves tangibles, s’apprêtait à relâcher son mari.

Pour construire ce téléfilm, Yves Rénier s’est appuyé sur un roman de 2016, « La mésange et l’ogresse », d’Harold Cobert. L’auteur précise en préambule que les propos prêtés à Monique Olivier et Michel Fourniret relèvent de la pure fiction. Il ne les a pas rencontrés. Par contre, il s’est nourri de nombreux entretiens avec l’enquêteur qui a fait plier Monique Olivier. « Les gens vont se faire une opinion sur l’affaire bien réelle sur cette base, alors que c’est déconnecté de la réalité et que d’autres victimes sont encore inconnues », tempête Sélim Fourniret. Et Oli Porro Santoro, qui poursuit l’investigation et assure qu’il révélera bientôt d’autres vérités, d’enfoncer le clou : « Il n’y a jamais eu de traque ! Michel Fourniret a bénéficié de protections haut placées qui lui ont permis de passer à travers les radars. »

Il est un fait que l’essentiel de ces deux épisodes se centre sur les pressions des interrogatoires, mais l’interprétation magistrale de Philippe Torreton et d’Isabelle Gélinas contribue pour beaucoup à brouiller la frontière entre réalité et fiction. Confondant de ressemblance physique avec le protagoniste, Torreton en a adopté sa posture tout en sobriété, de supériorité hautaine, son phrasé recherché et manipulateur. Gélinas a su faire sienne la complexité de Monique Olivier, cachant son caractère diabolique sous une apparente fragilité.

« Les grandes affaires criminelles fascinent car elles mettent en relief le combat entre le bien et le mal ultime. Lorsque le mal incarné est face à soi, certains sont professionnellement décidés à le combattre. Cela a donné lieu à de très nombreux films et il était important de l’illustrer, notamment à travers le cas de l’affaire Fourniret », conclut Franck Calderon. Pour autant cela donne-t-il tous les droits ?

« La traque », dimanche 7 mars, 21h – la Une

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